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  Article publié dans la Revue “Ora et Labora” (nn° 1 et 2/2006)

 

 

 

 

Sr. Christine Bremer osb ap**
Mère Mectilde de Bar :
femme, mère, (amma), soeur et maîtresse

"Quia plus amavit"...!

 

I. Avant propos

Pourquoi avons-nous choisi ce thème, après avoir cherché à découvrir le concept de la femme au début du monachisme et dans la vie de Benoît ? *

Bien sûr, mais pas seulement, pour mieux connaître Mère Mectilde, la fondatrice de notre Institut, qui vraiment est telle, cette femme, notre Mère, sœur et maîtresse sur notre chemin. Tout cela est aussi très nécessaire : sa figure a été souvent mal tracée et, plus de trois cent ans entre elle et nous ont créé une distance. Mère Véronique Andral (1924-2001) m’a aidée, comme d’autres que je connais, à sortir de cette difficulté ! Et ainsi font aussi beaucoup d’autres ! Mais avant tout, une connaissance plus proche de la personnalité de la fondatrice peut nous aider à mieux percevoir notre vocation, personnelle et unique, à en faire l’expérience, à l’aimer et à la vivre avec gratitude. Même la préparation en vue de ce jour a été précieuse à cet égard !

Nous parlerons donc de Mère Mectilde comme femme, mère, sœur et maîtresse. Ce sont des aspects qui ne peuvent être séparés entre eux, ils s’écoulent ensemble comme les eaux d’un fleuve, seulement il y a beaucoup d’accents différents, et les uns ou les autres semblent prendre le dessus. Peut-être pouvons-nous cependant trouver dans les textes que nous lirons ensemble des caractéristiques intéressantes pour quelques aspects, qui nous aideront.

Tout d’abord, que veut dire être femme ? Le livre de la Genèse est une source importante pour répondre. Dieu a fait la créature humaine, homme et femme, selon sa propre image et à sa ressemblance (cfr. Gen 1,26).Cela veut dire que la créature humaine est l’unique que Dieu a voulu pour elle-même, l’unique créature qui seulement à travers le don honnête de soi peut se réaliser complètement. Lui/elle est appelé/ée à être « pour » les autres, à devenir un don. La femme est par conséquent déterminée, déjà, comme créature, à être une aide pour l’homme. C’est seulement sous ce rapport qu’elle peut vraiment se trouver et devenir elle-même.

Son origine et sa valeur comme personne libre sont intimement liées à la conscience et à l’amour qu’elle reçoit (cfr. Gen 2,23) et aussi à l’amour qu’elle puise et donne de cet amour reçu. Etre femme est en même temps être épouse. Le caractère sponsal du rapport entre les personnes est clair dans la Genèse. Ce n’est pas par hasard si dans l’Ancien Testament Dieu appelle son peuple son épouse, sa femme !(cfr. le Cantique des cantiques, les prophètes Osée, Isaïe et tant de textes qui parlent de l’alliance du peuple avec lui). Donner l’amour veut dire donner la vie. Ainsi la femme devient mère (Eve = mère des vivants), première image et représentante de toute l’humanité. Dieu lui confie les hommes d’une manière spéciale. Le péché est une fracture dans la relation, une blessure à la solidarité et à la confiance. « La femme que tu as mise auprès de moi m’a donné (à manger) de l’arbre… le serpent m’a séduite. » Ainsi le péché voile l’image de Dieu et en dérobe la splendeur.

Mais le Seigneur ne laisse pas tomber les hommes. En Jésus il vient pour partager pleinement leur condition et pour les ouvrir de nouveau à leur destin originel. Dans ce retour, il assigne à la femme une place toute spéciale : « Je mettrai une hostilité entre toi et le femme, entre ton lignage et le sien. Il t’écraseras la tête et tu l’atteindras au talon » (Gen 3,15). Il luttera contre le malin, vraiment comme mère, en Marie.

L’analogie entre Eve et Marie indique le fait qu’en Marie sera pleinement manifesté tout le contenu de la « femme » selon l’acception biblique du terme. Dans la lettre apostolique du 15 août 1988, Mulieris dignitatem, n. 11, Jean Paul II écrivait :

Il faut s'arrêter en particulier sur le sens qui voit en Marie la pleine révélation de tout ce qui est compris dans le mot biblique «femme», une révélation à la mesure du mystère de la Rédemption. Marie signifie, en un sens, dépasser les limites dont parle le Livre de la Genèse (3, 16) et revenir vers le «commencement» où l'on retrouve la «femme» telle qu'elle fut voulue dans la création et donc dans la pensée éternelle de Dieu, au sein de la très sainte Trinité. Marie est «le nouveau commencement» de la dignité et de la vocation de la femme(37), de toutes les femmes et de chacune d'entre elles.

La clé pour comprendre cela peut se trouver en particulier dans les paroles placées par l'évangéliste sur les lèvres de Marie après l'Annonciation, lors de sa visite à Elisabeth: «Il a fait pour moi de grandes choses» (Lc 1, 49). Ces paroles concernent évidemment la conception de son Fils, qui est le «Fils du Très-Haut» (Lc 1, 32), le «saint» de Dieu; mais en même temps elles peuvent signifier aussi la découverte du caractère féminin de son humanité. «Le Tout-Puissant a fait pour moi de grandes choses»: telle est la découverte de toute la richesse, de toutes les ressources personnelles de la féminité, de l'originalité éternelle de la «femme» telle que Dieu l'a voulue, personne en elle-même, qui se trouve en même temps «par le don désintéressé d'elle-même».

Cette découverte va de pair avec la conscience claire du don, de la largesse faite par Dieu. Dès le «commencement», le péché avait obscurci cette conscience, en un sens il l'avait étouffée, comme le montre la description de la première tentation venant du «père du mensonge» (cf. Gn 3, 1-5). A l'avènement de la «plénitude du temps» (cf. Ga 4, 4), alors que commence à s'accomplir dans l'histoire de l'humanité le mystère de la Rédemption, cette conscience surgit avec toute sa force dans les paroles de la «femme» biblique de Nazareth. En Marie, Eve redécouvre la véritable dignité de la femme, de l'humanité féminine. Cette découverte doit continuellement atteindre le coeur de chaque femme et donner un sens à sa vocation et à sa vie.

Marie est « pleine de grâce » : la grâce est la perfection de son unicité féminine. En Marie, dans sa conscience de don que Dieu lui a fait, nous découvrons notre vocation de femme, cette vocation qui rend possible à elle et à nous d’avoir part à la mission de Jésus. A elle et à nous, l’Esprit Saint, qui l’a recouverte, laisse pressentir la pleine signification de notre être et nous prépare ainsi au don total de nous-mêmes : « Fiat mihi : qu’il soit fait selon ta parole ». Comme « ancilla Domini », Marie est image du Fils, du Messie-Ebed (ser­viteur) de Dieu.

« Devenir Jésus-Christ », le thème de la rencontre précédente des noviciats en novembre dernier, signifie pour nous alors : devenir femme selon l’image de Marie, la femme qui avec son : « Ecce ancilla Domini » a donné la réponse la plus complète à la parole créatrice de Dieu et avec toute sa vie l’a réalisée. Jésus a dit : « Quiconque fait la volonté de mon Père qui est aux cieux, celui-là m’est un frère et une sœur et une mère » (Mt 12,50). Le fiat de Marie est la participation de son personnel, libre « moi » - parce que Dieu respecte toujours le libre vouloir de l’homme, crée selon l’image divine – au dessein de Dieu.

Dans ce profond dévouement envers chacun et envers tous, qui jaillit de la rencontre très personnelle avec le Christ, l’époux, nous pouvons approcher la figure de Mère Mectilde et démontrer qu’elle est vraiment femme, vierge, consacrée, mère, sœur, maîtresse – et d’une certaine manière elle l’est. Dans notre monde moderne, qui a un besoin si urgent de modèles qui inspirent, Mère Mectilde est une compagne de voyage certainement exigeante, mais aussi sage et sûre. Ses sentiments et ses paroles, qui nous rejoignent à partir de ses lettres, représentent une limpide restitution de la profondeur de sa vie intérieure, qui donne à sa mission une signification particulière, et nous la fait entrevoir comme mère d’une manière personnelle et suggestive.

Mère Mectilde voulait faire croître dans tous les cœurs la nouvelle vie du Christ et se sentait pénétrée par sa propre maternité, comme par une mission reçue de Dieu. Elle ne peut s’y soustraire et indique la voie avec l’autorité que Dieu lui a donné, sûre et sans peur de se tromper.

En bref : être femme signifie simplement ; créature qui répond à Dieu avec humilité, sensibilité, dépendance inconditionnée, amour, virginité et sponsalité, beauté : « Que votre parure ne soit pas extérieure, faite de cheveux tressés, de cercles d, faite de cheveux tressés, de cercles d’or et de toilettes bien ajustées, mais à l’intérieure de votre cœur  dans l’incorruptibilité d’une âme douce et calme : voilà ce qui est précieux devant Dieu. »(1 Pt 3, 3-4). Signifie aussi vulnérabilité, service, foi (Heureuse celle qui a cru !), petitesse (Péguy voit les trois vertus théologale comme femmes : la foi comme une épouse, l’amour comme une mère, l’espérance comme une enfant !). La femme est présente avec tout elle-même aux moments fondamentaux de la vie et du salut : à la naissance, à la mort, lors de la résurrection et dans l’accomplissement que nous espérons. Que dit Jésus dans l’Evangile, en s’adressant en particulier à la femme ? « O femme, grande est ta foi ! Qu’il t’advienne selon ton désir » (Mt 15,28). « Que me veux-tu, femme ? Montfort heure n’est pas encore arrivée » (Gv 2,4). « Crois-moi, femme, l’heure vient…- et c’est maintenant – où les véritables adorateurs adoreront le Père en esprit et en vérité, car tels sont les adorateurs que cherche le Père » (Gv 4,21-23) « Femme, où sont-ils ? Personne ne t’a condamné ? Moi non plus, je ne te condamne pas. Va, désormais ne pèche plus. » (Gv 8,10.11). « Femme, voici ton fils.” (Gv 19,26). Femme, pourquoi pleures-tu ? Qui cherches-tu? …Ne me touche pas…Mais va trouver mes frères et dis-leur : je monte vers mon Père et votre Père, vers mon Dieu et votre Dieu. » (Jn 20,15-17)

Etre mère signifie: donner la vie, garder et soigner avec tendresse et force, protéger et défendre, nourrir, assister, lénifier, conforter, venir en aide – comme Dieu « Père » - avec sagesse et patience, s’oubliant elle-même totalement, être pour les autres. Cela signifie aussi : éprouver les douleurs de l’enfantement, souffrir pour l’enfant, « une épée te transpercera l’âme » (Lc 2,35), cependant tout de suite après éprouver « .. .joie qu’un homme soit venu au monde »(Jn 16,21).

Etre sœur signifie, en même temps, être épouse, comme le dit souvent le Cantique des cantiques : « Ma sœur, épouse » (4,9.10.12,5,1), « mon amie ! » (l, 9.15; 2, 10; 4, l; etc.). Comme Jésus fut totalement pénétré par l’amour du Père et par un amour partagé avec les hommes, ainsi l’épouse de Jésus partage son amour pour les hommes, et en ce sens est sa sœur et leur sœur. Etre sœur signifie : être solidaire, intrépide, courageuse, dynamique d’une manière concrète, s’oubliant soi-même, avec un cœur ouvert et libre, savoir partager et échanger ce qui nous appartient, être intuitive, être une amie qui porte avec l’autre les fardeaux, comme fait le Christ notre frère, nemo tam frater, personne est frère comme lui.

Etre maîtresse veut dire : stimuler, promouvoir, encourager, renforcer, réveiller le désir, entrer dans le vif des possibilités et des impossibilités de l’autre, le connaître dans sa propre réalité et ainsi le prendre au sérieux, lui offrir un véritable idéal et savoir le développer, imiter d’une certaine manière ce que fait l’Esprit Saint, et en être porte-voix. Ainsi la maîtresse est, au fond, prophète.

Ceci dit, nous pouvons nous plonger dans les textes de Mère Mectilde.

II. M. Mectilde, femme

Il s’agit de textes de Mère Mectilde elle-même, de fragments de l’histoire de sa vie : justement parce qu’elle vivait ce qu’elle écrivait (comme saint Benoît !), on apprend à la connaître aussi par sa manière de faire !

1. En premier cependant, nous la regarderons dans son être femme, et pour cela entrons dans un « rêve » qu’elle eut quand elle était jeune moniale chez les Annonciades, quand elle avait 17-24. M. Véronique Andral raconte :

Durant son séjour chez les Annonciades, Mère sain-Jean fit un « songe mystérieux » [1], qu’elle a elle-même raconté (Berrant, pp. 228ss.). Cela vaut comme anticipation symbolique de tout son itinéraire. Les biographes le citent soit au début, au milieu ou à la fin du récit de sa vie et en font l’exégèse. Il nous suffit pour le moment d’en lire le texte selon la version du manuscrit P. 101, p.33 :

 « Il me sembla – raconta t’elle  un jour – que j’étais dans une foire où il y  avait grand nombre de boutiques enrichies de tout ce que l’on peut imaginer de plus beau et de plus précieux ; et que j’étais marchande et que j’avais une boutique qui paraissait encore plus magnifique que les autres.« Comme j’étais occupée à regarder toutes mes richesses, j’entendis un grand bruit et chacun courait en disant : « Voici le Seigneur ». Je me sentis aussitôt dans une si grande ardeur de le voir que je fis mon possible pour découvrir où il était ; et l’ayant vu qui s’arrêtait à toutes les boutiques je pensais en moi-même qu’il viendrait aussi à la mienne ; ce qui m’obligea de me tenir à l’entrée pour le recevoir, ne pouvant me résoudre d’abandonner cette belle boutique pour aller plus loin au-devant de lui.« Enfin mon Seigneur arriva, au milieu d’une grande foule de peuple ; il était vêtu d’une longue robe blanche avec une ceinture d’or, les cheveux tirant sur le blond pendaient sur ses épaules, le visage un peu long et les yeux si charmants qu’ils enlevaient tous les cœurs.« Il ne fit, à la vérité, que passer devant moi ; mais en passant il me jeta un regard si pénétrant que j’en demeurait toute transportée et vivement pressée de quitter ma boutique pour le suivre, ce que je fis dans le même moment. Je pris néanmoins dans ma robe ce qu’il y avait de plus beau et de plus facile à emporter, et je le suivis, ainsi dans la foule qui était si prodigieuse que je pouvais presque l’apercevoir.

Je ne me sentis pas seulement pressée de le suivre, mais encore obligée de marcher sur les vestiges de ses pieds. Il fallait une grande attention pour les reconnaître parmi ceux de ce peuple ; ce qui fut cause que je négligeai tout le reste et que je perdis insensiblement tout ce que je portais.« Cette populace s’étant petit à petit dissipée, je me trouvai hors de la ville, seule avec Notre Seigneur que je tâchai de suivre de plus près qu’il m’était possible. Alors je tombai : toute mon attention et ma plus grande hâte fut de me remettre sur ses vestiges.« Il me mena par des chemins très difficiles, forts étroits, tout pierreux, et pleins d’épines qui emportaient mes souliers, ma coiffure et mes habits. J’avais les bras, les mains, les pieds et tout le corps ensanglantés.

Enfin, après des peines si inconcevables, et que les ronces et les épines m’eurent dépouillées de mes habits, je me trouvai revêtue d’une robe blanche et d’une ceinture d’or comme Notre Seigneur, dans un beau chemin où je le suivais toujours de près, sans pourtant qu’il me regardât. Je pensai en moi-même : « Au moins s’il me regardait, je serais contente ! » Ensuite je me disais pour me consoler : « Il sait bien que je l’aime ! », sentant une certaine correspondance dans son Cœur au mien, comme une espèce de cornet (sic) ou conduit qui aboutissait de l’un à l’autre et qui les unissait de telle sorte que les deux ne faisaient qu’un. Après avoir bien marché à la suite de Notre Seigneur, je me trouvai dans une grande prairie où l’herbe paraissait d’or (ce qui signifie la charité) toute émaillée de fleurs, où étaient de gros moutons, la tête levée, qui ne se repaissaient que de la rosée du ciel, car quoiqu’ils fussent jusqu’au cou dans les pâturages, ils n’en mangeaient point.

Il me fut montré que ces moutons représentaient les âmes contemplatives qui ne se repaissent que de Dieu et ne se rassasient que de sa divine plénitude. Parmi ces moutons, j’en remarquai un qui était fort maigre et s’éloignait du troupeau : il s’en retirait si fort qu’à la fin il le quitta tout à fait. J’aurai bien voulu jouir du bonheur de ces âmes que ces moutons me représentaient, mais il ne me fut permis que de les regarder, et ainsi je passai outre, en suivant toujours mon divin guide. 

Il me mena ensuite dans une grande plaine, à l’extrémité de laquelle était un palais magnifique ; mais la porte était si basse et si étroite qu’à peine la voyait-on, ce qui me fit croire que jamais je n’y pourrai passer. J’en fus extrêmement affligée. Alors Notre Seigneur, qui n’avait pas fait semblant de me voir depuis ce regard qu’il m’avait jeté en passant devant ma boutique, se retourna et me regarda. Je compris en même temps qu’il fallait pour entrer dans ce palais que je fusse toute anéantie : dans le moment, Notre Seigneur entra, et moi avec lui : mais je fis tant d’efforts pour passer après lui que, non seulement ma tunique fut emportée, mais que j’y laissai ma peau, étant toute écorchée. Je me perdis en Lui, mais si perdue que je ne me retrouvai plus ».[2]

Nous voyons déjà dans ce « rêve » le concept de « tout perdre pour son amour » : voilà l’effet qu’a eu sur elle le regard d’amour de l’Aimé et son désir de communion avec lui, dans la kénose totale qui distingue la vie de Mère Mectilde.

2. Maintenant je voudrais vous proposer un texte du 21 novembre 1697, mémoire de la Présentation au Temple de la Très Sainte Vierge. Nous sommes à moins de six mois de la mort de Mère Mectilde. Elle est hors d’elle même pour la joie de la complaisance sans fin que Dieu éprouve pour Marie, « cette petite colombe », « son chef d'œuvre  si bien réussi », une joie pour la femme parfaite, qu’elle même partage avec Dieu (« La joie de Dieu a fait ma joie »). Et quand elle décrit la disposition d’âme de Marie, nous retrouvons cette disposition qu’elle recommandait si souvent : un profond « anéantissement » dans sa petitesse, une parfaite adoration et un total dévouement et soumission à Dieu  J'adore et je me soumets » ont été ses dernières paroles). Nous lisons dans les Entretiens familiers :

Il faut que je vous fasse part d’une petite joie que j’ai eue ce matin qui n’a pas duré longtemps, puisque ce n’a été que depuis la sainte Communion jusqu’au retour à notre place, où heureusement une de nos sœurs m’aidait, car je crois que sans cela j’aurais eu de la peine à y retourner. Ce n’est qu’une idée ou une imagination que j’ai eu sur la fête d’aujourd’hui.

- Une religieuse lui dit : Ma Mère, vous n’avez pas laissé de voir bien des choses ?

- Elle lui répondit: “Oui, il n’en faut guère pour cela.

La joie n’est pas une chose qui me soit ordinaire, mais quoique je n’en aie point, je n’ai pas laissé d’en avoir une très sensible au sujet du mystère de la Présentation de la très sainte Mère de Dieu au Temple, où il me semblait voir la très Sainte Trinité pour ainsi dire, quoique ce terme ne soit pas propre, dans l’admiration, et toute transportée hors d’elle même à la vue de cette petite colombe si belle et si parfaite, parce que jusques alors il ne s’était rien vu sur la terre qui en approcha. et le Père Eternel n’avait encore rien vu hors de lui-même de si beau, ni de si parfait que cette petite créature, l’Humanité sainte du Verbe n’étant pas encore formée. Il en fut charmé à notre façon de comprendre. Car je sais que le transport et l’admiration marquent une surprise dont Dieu ne peut être capable, mais je me sers de ces termes pour m’expliquer. Il me semblait donc voir la très Sainte Trinité tout appliquée à la considérer, y prenant un plaisir infini. On peut lui appliquer ce qui est dit dans le Genèse, et à plus juste titre, qui est dans la création du monde, Dieu ayant considéré ses œuvres, il vit qu’elles étaient bonnes, parce qu’ici c’est le chef d’œuvre de ses mains. C’est pourquoi il ne la trouve pas seulement bonne, mais très parfait, très excellente, et très digne de lui. Il se complait dans son œuvre, s’applaudissant lui-même d’avoir si bien réussi dans ce chef d’œuvre de grâce et de nature, car jusques alors il n’avait vu ni reconnu en aucune créature ses perfections divines. Mais il les trouve toutes admirablement bien représentées dans l’âme de la très Sainte Vierge, que toute la très Sainte Trinité avait enrichie de tous les dons et les grâces qu’une pure créature peut être capable, excepté de lui donner sa divinité. Et on peut dire en une manière qu’il ne pouvait rien faire de plus grand, mais non pas généralement parlant, car la puissance de Dieu étant une puissance infinie, il ne la faut jamais borner.

Jusques alors il n’y avait point eu de sacrifices ni de victimes agréables à Dieu. Tout avait été corrompu par le péché et si Adam avait été créé en grâce, il n’y avait guère persévéré. Le péché avait tellement défiguré l’image de Dieu qu’elle ne se retrouvait plus dans aucune créature. C’est pourquoi le plus grand plaisir que Dieu a eu dans cette pure et innocente créature a été de se retrouver en elle. Il s’y est vu comme dans un miroir, et voilà ce qui l’a charmé, et rempli d’admiration, et la joie qu’il en a eue a été si grande, que quoiqu’elle soit son ouvrage, il la regarde aujourd’hui comme autant de complaisance que s’il ne l’avait jamais vue. Toute la très Sainte Trinité s’est écoulée en elle avec une telle plénitude de grâces qu’il fallait une capacité telle que celle que Dieu lui avait donnée pour les contenir toutes.

Le Père la regardant et l’aimant, comme sa fille, le Fils qui ne s’est point encore incarné, étant aussi grand et aussi puissant que lui, ne lui devant rien, voyant le plaisir que Dieu son Père prenait dans cette petite créature, dit en lui-même : si une pure créature est capable de lui donner tant de plaisir, que sera-ce donc de celui qu’il recevra par mon humanité ? Je me ferai homme afin de lui donner un plaisir et une joie infiniment plus grande que celle qu’il reçoit aujourd’hui. Et il la regarda dès ce moment comme celle qui devait être sa mère, le Saint Esprit comme son épouse, et en ces trois qualités elle fut comblée par les trois divines Personnes. La joie de Dieu a fait ma joie dans cette rencontre. »[3]

Nous avons effectué un grand saut en parcourant la biographie de Mère Mectilde, de son début à la fin, mais c’est une longue route où ils se rejoignent, et c’est ce parcours que nous voulons regarder maintenant.

III. M. Mectilde, « mère »

Nous avons regardé Mère Mectilde comme femme, maintenant voyons de quelle manière elle est mère. Marie était pour elle la mère que Jésus lui a donné. Donc, selon l’image de Marie, Mectilde est pour nous femme et mère (et, comme nous verrons ensuite, sœur et maîtresse).

Nous rencontrons l’idée de la « mère » au début et à la fin de sa vie. Quand elle était encore petite, elle demanda à sa maman gravement malade : « S’il te plait, quand tu vas au Paradis, salue pour moi la très Sainte Trinité, demande pour moi la grâce de pouvoir devenir sœur. Puis tu devras te tourner vers la sainte Vierge et lui demander de me prendre sous sa protection et être ma mère. » Semblables seront les mêmes dernières paroles de Mère Mectilde à ses « filles ». « Père dis-leur (= à ses « filles », les moniales étaient en train de pleurer autour de son lit) que je sais qu’elles sont avec moi et je saurais toujours qu’elles seront avec moi, et que je les lance entre les bras de la très Sainte Vierge ».

 Une sélection de textes recueillis par M. Véronique Andral sous le titre Le visage d'une mère [4] nou la décrit bien, et d’une manière vive, quand elle est déjà mère de toute la communauté, comme nous le démontrent aussi les pages 73-77 de Adorer et adhérer (Paris, Éditions du Cerf, 1994). Auparavant, cependant, je voudrais considérer avec vous aussi une série de lettres où nous puissions suivre, pas à pas, comment Mère Mectilde a été maternellement et fraternellement proche d’une sœur durant de longues années : d’une manière maternelle comme mère/âme – voir le titre de notre conversation – , parce que la maternité dans la vie monastique a une nuance toute particulière.

Il s’agit d’un échange de correspondance avec Françoise Charbonnìer, devenu ensuite sœur Marie de saìnt-Francois de Paule. Mère Mectilde avait connu cette jeune fille avant son entrée en 1665 au monastère de Toul.  Nous avons encore le registre où Mère Mectilde l’avait inscrite comme membre de l’Association de l’Adoration perpétuelle le 30 janvier 1665. Son heure d’adoration était de trois à quatre heure du matin, tous les jours. Nous trouvons ces lettres (où nous pouvons nous sentir interpellées nous aussi !) dans Lettres inédites, Rouen 1976. Ici nous en lisons seulement une. Toutefois cela vaudrait la peine de lire personnellement toute la série ![5]

Notre Françoise naît en 1642 à Saint-Mihiel. Le 24 mars 1665, elle entre au monastère de Toul, où le 6 avril 1665, lundi de Pâques, elle commence son noviciat, qui, alors, durait une année seulement. Le 15 mai 1666 elle fait sa profession. En mars 1685, elle devient prieure du second monastère de Paris (à rue Saìnt-Louis), où en 1709, après 24 années de priorat, elle meurt.

La première lettre de Mère Mectilde adressée à elle est de mars 1665.

Il est juste que j'entre avec vous dans le sacrifice, puisque la Providence m'a donné pour vous des entrailles de mère et un cœur rempli d'une intime affection. C'est donc en quelque .façon de mon devoir de vous immoler et de faire en esprit ce que la mère de Melithon fit, portant son cher enfant sur l'amphithéâtre pour y être brisé et coupé par morceaux pour l'amour de Jésus. [Melithon était le plis jeune des quarante martyrs de Sébaste, en Arménie, NdA]

J'entre de tout mon cœur dans les tendresses de mère que Notre Seigneur veut que je vous sois. Je vous reçois non seulement dans la maison du Très Saint Sacrement mais dans moi-même : et, par le courage, je vous immole et vous sacrifie à mon adorable sauveur Jésus Christ, qui est l'unique motif qui vous a fait quitter ce que vous aimez le plus en ce monde, pour vous rendre sa victime et consommer votre vie pour son amour. C'est ici donc que vous avez besoin de toutes les forces de la générosité de votre cœur, pour vous rendre à celui qui s'est donné et se donne incessamment sans réserve tout à vous. Vous l'expérimentez en recevant l'auguste Eucharistie. Il est bien juste que vous lui donniez amour pour amour, vie pour vie et mort pour mort. Y a-t-il rien de plus glorieux dans le christianisme que d'être tout à Jésus et se consommer pour lui. C'est ce que vous avez entrepris de faire et qu'il faut continuer jusqu'à la mort. C'est pour cela que vous êtes entrée dans la sainte Religion. Oui certainement, je réponds pour vous que vous n'avez point d'autre motif que de plaire à Dieu, que de suivre Jésus Christ et de mourir pour son amour et de son amour, même en vous immolant avec lui. Vous avez commencé le jour de son entrée dans le sein de sa très glorieuse Mère, où il fait sa première démarche sortant du sein de son Père pour venir au monde. Il entre dans un abîme infini d'anéantissement devant la Majesté de son Père ; il s'offre à lui pour être la caution des pécheurs et pour satisfaire à la justice divine. Il entre dans un état d'humiliation et de souffrance perpétuelle ; il est victime au moment qu'il est incarné ; il est immolé dès l'origine du monde et il se sacrifie et meurt sur la Croix. Voilà, ma chère Mademoiselle Françoise., où vous le devez suivre.

 (...) Ne retournez point en arrière. Je me rends à Notre Seigneur pour être votre caution et pour être toujours votre pauvre et très indigne Mère qui a pour vous tout ce que vous pourrez désirer dans cette qualité. Le désir, la crainte, l'amour et la timidité font un combat dans votre cœur ; jetez-vous à corps perdu entre les bras de Notre Seigneur ; vous ne voulez rien que pour lui. Il aura soin de votre conduite et de tout le reste. Je le prie d'être votre force.

Si vous persévérez, j'aurai grande joie de vous présenter au Père Eternel avec Jésus Christ son Fils, le jour que l'amour le sacrifie dans le mystère eucharistique et qu'il l'y fait la victime du monde, épanchant son Sang mystiquement sur l'autel pour nous obtenir miséricorde, et sur nos cœurs pour nous consommer en son amour. Je serais bien aise qu'à ce grand et admirable jour, auquel l'amour divin épuise tout ce qu'il a de puissance en faveur des hommes et de votre âme en particulier, que vous lui rendiez le réciproque, selon votre possible, amour pour amour, vie pour vie et mort pour mort. Courage donc, Mademoiselle Françoise ; faites courageusement votre sacrifice. »[6].

La douce maternité de notre Mère n’est jamais édulcorée, insipide, elle est spirituelle et cherche à conduire sa fille, à lui être proche, à la soutenir dans les difficultés de la vie. Elle s’adapte à sa fille, sans toutefois démissionner face à l’idéal vers lequel elle doit lutter : se perdre en Dieu.

La maternité spirituelle et sa manière d’être une éducatrice exigeante et sévère – où en même temps, elle donne tout ce qu’elle est à ses filles – contiennent non seulement un enseignement d’une doctrine, qui crée des intuitions dans le sujet ; elle crée un espace libre pour la grâce et découvre les marques secrètes du trop d’amour de soi qui pourrait faire obstacle à la rectitude, à l’ouverture du cœur et à la docilité de la sœur, qui met sa confiance en elle, pour recevoir sa parole et la mettre en pratique dans sa propre vie.

Mère Mectilde a toujours la plus grand confiance en ses filles, et ne perd jamais l’espérance, parce que Dieu est le Seigneur de l’impossible, avec lui rien n’est totalement perdu et il n’est jamais trop tard.

Si être mère est la dignité maximale de la femme – parce qu’alors elle devient collaboratrice de Dieu dans le travail de la création, où Il donne la vie à un nouvel être, créé à son image –, alors Mère Mectilde est vraiment mère. Elle désire ardemment que ses communautés soient transformées, moyennant un profond amour fraternel, en douces familles, où chaque sœur peut arriver à la maturité de sa propre vocation dans un climat de paix et d’harmonie.

IV. M. Mectilde comme sœur et maîtresse

Comme je l’ai déjà dit, le nôtre n’est pas un discours sur des aspects particuliers, isolés, mais sur les aspects d’une unique réalité, celle de la femme comme telle. Mère Mectilde elle-même disait :

Je puis vous assurer que si vous travaillez à suivre l’exemple de la Sainte Vierge vous participez à cette grâce infinie de sa maternité divine. Quoi ! Mère de Dieu ! Oui vous serez des petites mères de Dieu ! Vous me direz que j’avance là une hardie proposition, il est vrai mais j’ai pour garant Jésus-Christ même qui disait autrefois : « tous ceux qui font la volonté de mon Père sont mes frères, mes sœurs et ma mère… » (Mt 12,50) Mettez-vous en état de participer à ce bonheur, et pour cet effet priez la Sainte Vierge de vous présenter à son Fils et d’unir vos sacrifices aux siens (n. 1050)[7].

1. Regardons à Marie comme sœur quand nous la voyons aller vers Elisabeth : pour l’aider, oui, mais aussi pour partager avec sa cousine sa propre félicité. Les deux se trouvent si bien ensemble, qu’elles peuvent se dire tout ce qui les comble. Marie va même jusqu’à le chanter ! Et ensuite à Cana. Marie se rend compte du manque de vin et cherche à aider : « Ils n’ont plus de vin » – et sans se laisser décourager : « Tout ce qu’il vous dira, faites-le ! ». Marie, avec sa sœur et les autres femmes, se tient sous la Croix avec Jean. Ensuite nous la trouvons aussi avant la Pentecôte avec les disciples et les femmes, avec les parents de Jésus, persévérant unis dans la prière.

Etre sœur est être « en communion ». Ce n’est pas par hasard si les chrétiens, dès les premiers temps de l’Eglise, s’appelaient frères et sœurs. Comme Marie, Mère Mectilde aussi est sœur, avant tout envers son Seigneur et Epoux.. En conséquence ses douleurs, sa solitude, la dérision, son anéantissement viennent à la lumière d’une manière si forte dans la vie et la doctrine de Mère Mectilde  Elle veut partager avec lui le même destin.

Dans beaucoup de textes où elle parle de la souffrance, de l’abandon, de l’humiliation, de l’épreuve, de la pauvreté, des ténèbres, de la calomnie, du reniement de soi, des contrariétés, de la pénitence, de la tentation, d’être victime, de la mort, nous devons toujours lire, en même temps, son désir d’union avec Jésus, les expériences d’expropriation de soi, son être profondément sœur et épouse. Bien sûr, elle est aussi sœur dans les rapports avec ses sœurs et avec toutes les personnes qu’elle rencontre. Etre sœur veut dire : humilité. Ensemble avec les autres, on est fils d’un même Père, dont on attend tout avec une espérance toujours neuve. Par conséquent, l’amour fraternel s’exprime particulièrement dans le pardon réciproque, qui offre un espace toujours nouveau aux autres et veut tout partager avec eux (cfr. 1Gv 2,10: « Celui qui aime soin frère [sa sœur] demeure dans la lumière ». Ainsi, Mère Mectilde partage le destin matériel et spirituel de ses sœurs et fait tout son possible pour les soulager dans leurs nécessités. Nous la voyons, âgée de vingt-ans à peine, supérieure des Annonciades, tandis qu’elle soigne et soutient les sœurs qui souffrent de la peste et de la faim, et plus tard elle devra se réfugier à Montmartre mais voudrait rester avec elles – là elle se trouve tant « chez elle » de désirer avoir avec elle aussi Mère Bernardine – et pleure pour la pauvreté de ses sœurs, restées loin. A Barbery elle se met à instruire sur la foi un groupe de femmes et de jeunes filles pauvres. Il y aura ensuite pour elle une dure lutte : demeurer à Caen ou rester à Paris alors que les sœurs de Rambervillers veulent qu’elle retourne chez elles ? Mère Mectilde ne peut les contenter pour ce qui tient d'elle parce qu’elle voit clairement une autre volonté de Dieu.

Dans la correspondance nous voyons comment Mère Mectilde participe aux joies et aux souffrances de ses sœurs (par ex : les si nombreuses lettres à la communauté de Toul, de Pologne et de Rouen). Mais il s’agit en fait d’un échange spirituel réciproque. Elle se sent solidaire avec elles dans le même appel, sur la même chemin de la vie. Je ne sais si vous connaissez la belle pièce de théâtre de Claudel, l'Annonce faite à Marie. Les deux sœurs, Marie et Violaine, moyennant leur sacrifice, leur dévouement, moyennant la grâce, en dernière analyse, deviennent encore plus profondément sœurs. (Entre parenthèse ce serait une expérience très belle de lire ensemble ce texte, par ex : au cours de la récréation, en parler et ensuite le mettre en scène ensemble !)

Etre sœur est être personne humaine. Nous devons le devenir au cours de notre vie. Notre naissance est comme une création : c’est une réalité en devenir. Ni le Fils de Dieu lui-même, ni les fils et les filles renés par la grâce, peuvent éviter ce moment où le Père les engendre dans l’esprit. Comme dit Tertullien dans De Baptismate: « Les chrétiens (sont) des petits poissons qui ne sortent jamais de l’eau (de la fontaine baptismale) d’où ils sont nés ». Mais leur croissance – mieux, la croissance du Christ en eux – advient dans la communauté, et est donc nécessaire une mère, une sœur, une maîtresse qui, avec amour, moyennant son service à la vie du Christ qui grandit dans ses filles spirituelles, les accompagne jusqu’à la hauteur de la vie religieuse, dit Gertrud von le Fort dans Die ewige Frau  (p. 159)[8]. (Un autre livre qui vaut bien la peine d’être lu !). Dans le même ouvrage nous trouvons à la page 149 un extrait où le rapport entre mère-sœur-maîtresse est bien clarifié.

Comme la femme, à l’heure de l’accouchement ne prend pas mais reçoit l’enfant, ainsi elle ne peut former cet enfant ainsi conçu selon son propre désir et sa propre volonté, elle peut seulement peiner pour cette créature qui lui a été confiée. La femme met à disposition de l’enfant ses forces, ses énergies et laisse que ces mêmes énergies soient utilisées. Ce qui vaut pour le développement physique de l’enfant vaut aussi pour son développement spirituel : l’attitude de la maman chrétienne est celui de l’espérance qui est en elle, aussi dans l’éducation de l’enfant elle ne peut le former selon se propres désirs, elle peut seulement soigner et protéger l’enfant à elle confié.

Dans la lecture religieuse de cette comparaison, l’enfant confié est l’image divine dans l’homme en devenir, est le fils du Créateur. Lui opère, elle, au contraire, coopère seulement, avec révérence. Par conséquent, en regardant la mère chrétienne, on peut reconnaître dans le caractère de la nature le premier degré de la grâce comme coopération de la créature à l’œuvre divine [9].

Lisons une lettre que Mère Mectilde  écrit le 2 juin 1666 à la communauté de Toul :

Veille de l'Ascension sur la minuit, 1666

Mes chères enfants en Jésus,

Dans la pensée que Monsieur de Saint Jean (l) s'en retourne demain, je vous fais ce petit mot pour vous réitérer les sincères cordialités de mon cœur, vous protestant qu'il est demeuré au milieu de vous toutes, ou pour mieux dire dans les sacrées plaies de mon adorable Jésus, avec vous. C'est dans ce centre uniquement aimable où il faut faire notre chère solitude, et n'en jamais sortir que par l'ordre de la sagesse divine, quand il lui plaît de nous en faire sortir par les œuvres qu'elle nous commande d'accomplir. Mon Dieu, mes toutes chères et les plus chères de mon cœur, que j'ai de tendresse pour vous toutes, et que j'ai d'ardeur pour votre sanctification ! Depuis dimanche à la récréation, j'ai une abondance de pensées à vous dire et de précieuses vérités à vous exprimer, mais je les renvoie d'où elles sortent, afin que Jésus vous les imprime lui-même dans l'intime de vos cœurs, puisque je ne puis plus vous rien dire, et que la distance des lieux nous prive de la douce consolation de vous entretenir sur ce mystère d'amour de Jésus élevé au trône de sa gloire. Priez-le, mes enfants, qu'il s'élève lui-même en nous et qu'il nous élève à lui, que nous puissions une bonne fois quitter les choses de la terre, je veux dire nous-mêmes et les créatures, pour adhérer tout à lui. Souvenez-vous qu'il a emmené la captivité captive (2). Cela vous regarde, mes toutes chères, vous êtes ses victimes, et par conséquent ses esclaves et les captives de son divin amour. Il faut qu'il vous emmène avec lui, et que désormais on ne vous trouve plus sur la terre, "non quae super terram", mais toutes cachées en Jésus dans le sein de son Père dans l'auguste Sacrement. C'est là où je vous chercherai toujours et ne veux jamais vous trouver ailleurs, et je vous conjure d'y demeurer et d'y vivre séparées quant à l'affection et sensibilité de tout le reste, afin que vous n'ayiez et ne possédiez rien hors de lui.

Pour ma santé qui vous tient en peine, je vous assure qu'elle est bonne contre toute espérance. La première journée [de notre retour] je me trouvais fort ébranlée dans la tête, mais cela se dissipa, et me porte fort bien selon moi.. [...].

Je vous dis encore une fois bonsoir, mes très chères enfants, en attendant que la. divine Providence me renvoie pour vous dire un petit Bonjour, jusqu'à celui de l'éternité où il n'y aura plus de nuit, plus d'éclipse, ni plus de séparation. Le jour et la nuit jouissante étant sans fin, nous serons au comble de tout bonheur, et serons pour lors efficacement une en Jésus comme Jésus est un avec son Père, c'est dans cette aimable union ou nous aspirons toutes. (303).[10]

Et qui parle ici n’est pas en même temps mère, sœur, maîtresse ?

2. « Sœur » présuppose une communauté, pour nous, la communauté monastique. En 1992, pour nos sœurs italiennes, M. Véronique Andral a fait une compilation et un commentaire de textes tirés des conférences sous le titre : Vie commune et croissance spirituelle.[11] J’extrait une affirmation de Mère Mectilde :

Ne vous étonnez pas par conséquent si j’insiste aussi souvent que vous vous aimiez les unes les autres…Vous me direz : « Oh ! Mais ma sœur a quelque chose qui me heurte. Je l’aime, mais je ne peux supporter sa manière de faire. » Cela n’est pas charité. Si Notre Seigneur nous aimait de cette manière, nous serions bien misérables, étant donné que nous faisons une infinité de choses intolérables à ses yeux divins. Il hait infiniment le péché, mais aime le pécheur. Il l’accueille à sa table, invite au banquet les pauvre, les boiteux, les aveugles. De cette manière nous devons aimer nos sœurs. Ne nous arrêtons pas à leurs défauts et à leurs misères. Les plus faibles sont ces perles auxquelles nous devons plus de tendresse, à l’exemple de notre divin modèle Jésus Christ, dans le très Saint Sacrement, où il exerce une charité infinie envers nous.[12]

Et Mère Mectilde se conforme à saint Paul qui utilise la comparaison du corps :

Je voudrais pouvoir bien insinuer la vraie charité qui part du cœur de Jésus-Christ et que nous devons avoir comme membre de ce chef adorable, mais notre malheur est que nous ne nous regardons pas comme ses membres, nous nous tirons de cette union pour vivre à nous-mêmes et pour nous-mêmes comme personnes particulières. Ce tien et ce mien fait tout le désordre. Nous ne voyons pas volontiers qu’on favorise les autres, qu’on les console, ce qui marque que nous ne sommes pas unies à notre Chef. Je vous demande si la main se plaint que l’on chausse si doucement le pied ? Pas du tout ! Quittons donc ce qui nous est propre pour nous tenir unies au cœur de Jésus-Christ, notre chef. (1552)[13]

Si on se blesse au pied, aussitôt le corps se courbe, les yeux le regardent, la main le touche, tous les membres se portent à le soulager et donner leur assistance. Ainsi si une de nos Sœurs est malade, qu'une chacune de sa part, l'assiste : l'une pour l'excuser, l'autre pour prier, la compatir, supporter ses faiblesses. C'est ce que vous devez faire. Je parle de la maladie spirituelle comme la plus importante. (1240)[14]

Mère Mectilde explique encore :

Si nous pensions que le prochain dont nous parlons est cher à Dieu comme la pupille de l’œil, qu’il est le prix du sang de Jésus, nous serions beaucoup plus attentives à ne rien dire qui puisse lui donner du déplaisir, parce que Dieu lui-même s’en retient offensé.

A ce point commentait  M. Véronique : évidemment il y a tout un cheminement à faire. Au début nous croyons aimer de manière pure, tandis que notre amour est encore très mélangé à l’égoïsme, à l’amour propre, dirait Mère Mectilde. Les difficultés de relations nous révèle combien notre amour est imparfait. « Je l’aime, mais… » et nous aide à une progressive et toujours plus grande purification. On arrive à constater d’être incapables d’aimer vraiment, et alors on est prêt pour se laisser envahir par la charité divine qui peut prendre possession de nos cœurs.[15]

Continue Mère Mectilde :

Mes Sœurs, Jésus-Christ passe et nous invite à le suivre au martyre, mais un martyre caché et qui nous fait mourir à nous-mêmes, à nos passions, à nos méchantes humeurs, à mille petites jalousies et dédains ; martyre qui nous fait être sans miséricorde pour nous et nous oblige à l’avoir toute entière pour le prochain.[16]... portons (Jésus) partout avec nous, soit à la cuisine, à la récréation, dans les conversations, bref partout, et voyons comme quoi il s’est comporté dans de pareilles occasions. Il vous donnera grâce pour l’imiter. (2887)[17]

Comme parlait Mère Mectilde  ainsi avait t’elle dû avoir agi, ainsi avait t’elle dû être. Mère Mectilde nous rappelle fréquemment que nous sommes appelées à une souffrance vicaire :

Voilà par conséquent notre vocation réparatrice.[18]

Nous la vivons avant tout l’une pour l’autre. Mère Mectilde le dit :

Je ne sais comment c’est pour les autres, mais je porte le fardeau de la dernière de mes sœurs, je le vois plus clair que le jour qui resplendit : les faiblesses des esprits, les infidélités, tout cela me charge devant Dieu… Dieu m’a donné une tendresse et une je ne sais quoi pour les âmes souffrantes et affligées, d’une manière telle que je les aies toujours présentes à mon esprit et je ne saurais les abandonner tant que durent leurs souffrances. Il semble que Dieu m’ait faite pour ces âmes-là ! Si elles connaissaient leur fortune ! [19]

Et on pourrait faire des citations à l’infini sur ce propos.

Mais – c’était Mère Mectilde direz-vous – Avant de réparer pour les autres, il faudrait peut-être réparer pour soi ! ». C’est la réaction d’une novice… :

La novice s’étant recommandée à ses prières, Mère Mectilde lui répondit : « Je prierai la très sainte Vierge de rompre les chaînes de votre amour propre ». Ayant dit ensuite à la  novice de prier pour elle, celle-ci-lui répondit : « Je suis si misérable et pécheresse que je ne peux réparer pour les pécheurs, je suis déjà suffisamment occupée à demander pardon à Dieu pour moi. Il faut avant tout que Lui répare sa gloire en moi et me rende digne de réparer pour les autres ». Mère Mectilde lui répond : « Ce n’est pas nécessaire que vous répariez pour les autres, mais faites au pluriel ce que vous faîtes pour vous-même, et en cela tout sera compris ».[20]

Ce que dit Mère Mectilde de Marie : « Son titre saint est Mère de Dieu, elle est refugium peccatorum et la force de toutes les âmes qui cherchent à acquérir la vertu », est vrai aussi pour Mère Mectilde elle-même.

Nous voyons en tous ces textes combien l’amour est vraiment la plus grande loi en ces petits royaumes de Dieu que sont les monastères, l’amour, l’Esprit de Jésus Christ lui même crie dans nos cœurs : « Abba ! Père ! », nous conduit ainsi dans la vraie vie commune, dans l’unique vraie communauté de frères et de sœurs.

V. M. Mectilde, maîtresse

Si nous voulons maintenant parler en particulier de Mère Mectilde comme maîtresse, il est bien de souligner encore une fois que cette qualité suit justement celle de mère et de sœur, comme leur conséquence. Il faut être sœur, avant d’être maîtresse des sœurs, et avec cela on reste toujours en même temps femme, mère et sœur.

1. Comme Marie. D’elle on dit : « …elle fut toute troublée et elle se demandait ce que signifiait cette salutation…et elle dit : « Comment cela sera-t-il, puisque je ne colnais pas d’homme ? » (Lc 1,29.34). (Même Mère Mectilde se voit si loin de toutes ces qualités qu’une maîtresse d’école, une maîtresse des novices doit avoir, d’être prise d’une sainte crainte ! Cependant, forte de l’obéissance, et avec l’aide de Dieu, elle se confie en Marie et lui demande de remplir elle-même cette tâche). Et plus tard, de la Sainte Vierge on dit : « Marie conservait avec soin  toutes ces choses, les méditant en son cœur… » {Lc 2,19). Et après que Marie et Joseph eurent cherché avec douleur Jésus et l’eurent retrouvé dans le temple, nous lisons: « Mais eux ne comprirent pas la parole qu’il venait de leur dire » (Lc 2,50). Toutefois ils ne se laissèrent pas décourager, l’évènement servit plutôt comme avant propos de ce qui est de nouveau confirmé : « Sa mère gardait fidèlement toutes ces choses en son cœur » (Lc 2,51), en ce cœur qui avait été recouvert par l’Esprit Saint, lequel – à elle et à nous tous – se rappelle tout ce que Jésus a dit » (cfr. Gv 14,26). Le même Esprit forme le lien d’amour entre Père et Fils: en Dieu, mais aussi entre nous hommes et femmes. C’est toujours entre deux pôles qu’il forme son lien, entre deux ou plusieurs personnes. Pour pouvoir percevoir l’enseignement de l’Esprit, il faut que lui-même soit déjà en nous. Ainsi aussi pour Mère Mectilde maîtresse et ses sœurs. Pour mieux le comprendre, lisons avant tout un fragment d’une lettre où Mère Mectilde parle expressément de l’Esprit Saint, dans une lettre à la communauté de Toul :

Veille de la Pentecôte, 12 juin 1666

"(...) Que veut dire la fête du Saint Esprit, sinon la fête de son triomphe dans son Eglise et dans tous les cœurs des fidèles ? II faut qu'il célèbre sa fête en vous. Cela veut dire qu'il faut qu'il triomphe de vous, qu'il y établisse son empire et sa souveraineté qu'il soit le Maître absolu de vos intérieurs, qu'il y opère selon son bon plaisir et que vous ayez une entière soumission à ses mouvements, à ses touches et inspirations. Je vous conjure toutes de lui faire amende honorable de tant de profanations et de tant d'outrages que je lui ai faits et surtout de le réduire si souvent en esclavage en moi, l'empêchant d'opérer ses dons et de jouir de ses droits. Priez-le qu'il nous renouvelle en sa grâce et que nous puissions commencer une nouvelle vie avec vous. Priez ce Dieu d'amour qu'il nous prépare à recevoir en nous le sacré mystère de l'amour et qu'il consomme en nous tout ce qui lui est contraire.

Le Saint Esprit a deux effets en lui-même : le premier, de lumière ; le second, de feu. Il éclaire l'âme et lui apprend, comme dit Notre Seigneur, toute vérité et il l'échauffé et lui donne de l'ardeur pour l'embraser et s'y conformer. Le propre du Saint Esprit, c'est de manifester Jésus, de nous faire aimer ses divines paroles et de les réduire en pratique. Mais qui sera celle d'entre vous toutes qui recevra le Saint Esprit ? Le prophète Isaïe dit que ce sera l'humble. Hélas ! mes chères enfants, si le Saint Esprit n'est donné qu'aux humbles, très peu le recevront. Il ne faut pourtant point se décourager ; les opérations du Saint Esprit se font sur toutes les âmes et même sur celles des pécheurs, sans lequel ils ne pourraient se convertir. Mais si vous me demandez chez qui le Saint Esprit fait sa demeure tranquille et paisible, et qui possède l'objet pleinement, je réponds avec le Prophète que c'est dans le cœur humble et tout anéanti, d'autant que Dieu résiste au superbe et qu'il ne peut avoir de repos en lui. Il est de vérité qu'il jouit de sa paix éternelle en l'humble. La raison est que rien ne résiste à ce divin et adorable Esprit, parce qu'en l'humble tout est anéanti, cela veut dire : parfaitement assujetti. Soyons humbles, mes chères filles, puisque sans l'humilité nous ne pouvons conserver le Saint Esprit ; et à quoi sert-il de le recevoir si on ne le garde en soi ? Parce que, sans lui, nous sommes sans vie de grâce. »[21]

Le Dieu de l’humilité peut être reçu seulement de qui est humble. Lui-même doit nous rendre réceptives envers lui. L’amour (et Dieu est amour) est toujours plein de respect, d’oubli de soi, humble. (Connaissez-vous ce petit livre merveilleux du père jésuite François Varillon, L’humilité de Dieu ?)

2. Nous pouvons voir Mère Mectilde comme maîtresse dans un portrait qu’elle trace elle-même de la maîtresse des novices dans le Réglement des Offices. Confiance et amour réciproque sont fondamentaux : « Les novices doivent être convaincues que (la maîtresse guide) toute leur formation pour leur bien et pour leur croissance dans l’Esprit ». A la première place (cela vaut aussi pour la Mère elle-même) il y a la prière!) : « Toutes les fois qu’elle leur parlera, soit en commun, soit en particulier, elle commencera par adorer intérieurement les desseins de Dieu sur elle, lui demander les lumières nécessaires pour connaître et enseigner aux autres ses volontés, renoncera à son propre esprit pour se rendre dépendante de l’Esprit Saint, et apprendre de lui à guider ses novices à la perfection de la vie chrétienne et religieuse”[22]

Ou encore : prière avant, pendant et après chaque intervention auprès des novices. Inlassable (in omni patientia, dit la Règle : RE 58,11}, elle fera voir à travers son comportement et son exemple ce qu’elle veut. Elle sera très attentive à tout ce dont elles ont besoin pour le corps et pour l’esprit, dans un constant équilibre entre fermeté et patiente modération, agissant avec prudence, sans cependant cacher les difficultés qu’il y a dans la sequela Christi, dans l’observance de la Règle et des Constitutions : dura et aspera ! Mère Mectilde répète souvent : « Avec douceur ». Cela est peut-être une allusion qui rappelle la trop sévère Mère angélique, la maîtresse qu’elle eut lorsqu’elle était chez les annonciades ? Ou plutôt l’image réflexive de Jésus, humble et doux, comme il s’est manifesté à elle quand elle devait instaurer la réforme au monastère de Caen ?

Ce serait top pour cette leçon d’examiner tout son Règlement des Offices de la maîtresse des novices : sur l’introduction à la prière, sur le silence, sur la réserve, sur l’instruction et sur les conférences, sur la louange et sur la vie commune, et d’autres encore. Cependant elle donne quelques points fermes que je rappelle ici :

1.Laissez à nous-mêmes nous ne sommes pas capables de rien faire, même pas une pensée. Par grâce de Dieu, nous sommes ce que nous sommes, sans lui, nous ne sommes rien.

2. La vertu ne dépend ni du temps, ni du lieu, mais de notre soumission et conformité au vouloir de Dieu, pour lui plaire en tout dans la rectitude d’intention et avec le désir.

3. La vraie sagesse est craindre Dieu. Notre esprit reçoit la lumière, pour voir comment on peut accomplir sa volonté, si nous avons soin de ne pas l’offenser.

4. Nous devons nous humilier toujours sous la puissante main de Dieu et confier toutes nos préoccupations avec pleine abnégation dans Sa main paternelle, dans la conscience qu’Il veille sur nous.

5. Nous devons trouver notre consolation dans notre complète dépendance de son aide, conscients qu’Il accomplit en tout son dessein avec l’Eglise et avec chaque âme. Pour cela l’adorer en toute chose et nous soumettre avec amour à sa volonté.

En forme de conclusion je voudrais vous lire dans les dernières conférences de la Mère un extrait où elle parle du Mandatum du Jeudi Saint, quand Jésus lui-même, résume pour nous tout son enseignement et toute sa vie justement lors du Lavement des pieds. C’est de cet épisode que la figure de maîtresse, comme la voyait Mère Mectilde, reçoit sa forme :

« J’aurais assez d’ambition pour désirer faire cette action encore pour la dernière fois de ma vie, mais Notre-Seigneur m’en ayant ôté le pouvoir, je me contenterai de vous exhorter à le faire saintement. Quand on vous lavera les pieds, ne regardez point celle qui vous les lave, mais regardez que c’est Notre-Seigneur qui le fait et qui est à vos pieds. Ne voyez que Jésus. En un mot, faites cette action avec un esprit intérieur pour honorer celle de Notre Seigneur. C’est ainsi qu’il faut toujours agir pour y trouver bénédiction. Préparez-vous et appliquez-vous à recevoir les grâces que Notre Seigneur veut vous départir par celle qui fera le lavement des pieds. Demandez-les lui aussi pour elle et priez-le de l’y préparer. Je vous le répète, agissez toujours ainsi, avec esprit intérieur. Quand je vois qu’on fait humainement les choses divines, cela me tue. Appliquez-vous à tous les mystères de Notre Seigneur, et à ses souffrances excessives. C’est réellement qu’il est mort, ce n’est pas une imagination. Il n’y a pas une créature sur la terre qui, si elle avait une entière connaissance des souffrances de notre Seigneur, en pourrait supporter la vue sans mourir. il n’y a que le Père éternel, qui les a fait souffrir à Jésus, et son Fils Jésus-Christ qui les a endurées, qui en connaissent toute la grandeur. Hélas, nous sommes si sensibles au moindre affront qu’on nous fait, les grands cœurs les ressentent si vivement, et Notre Seigneur qui fait le plus grand et le plus beau de tous les cœurs, jugez ce qu’il a dû éprouver au milieu de tant d’opprobres et de souffrances en tous genres. Ah ! J’ai un cœur de chair pour moi, et pour mon Dieu je n’ai qu’un cœur de pierre. Je suis sensible à tout ce qui me regarde et si insensible pour Jésus Christ notre Seigneur!

Si nous ne pouvons nous occuper comme nous le voudrions des souffrances de notre adorable Sauveur, soyons-en dans l’humiliation et la confusion et entrons au moins dans quelque compassion des excessifs tourments qu’il endure pour l’amour de nous. On dit que ce n’est qu’au jour du jugement que nous connaîtrons tout ce que Notre Seigneur a souffert pour nous et l’étendue de son excessive charité pour les pécheurs.

O mon Dieu, permettez-moi de vous dire que cette connaissance alors ne nous servira de rien. Je vous prie donc de nous avancer ces lumières et ces connaissances, de nous les donner à présent afin que nous vous aimions !

Le Père éternel nous a donné son Fils unique : c’est beaucoup, mais en un sens ce serait peu pour nous, s’il ne nous l’avait encore donné pour nous sauver et nous racheter en mourant pour nous. Oh ! quelle excessive charité !

C’est bien en ce saint temps que Dieu fait toutes choses nouvelles, que tout va être renouvelé. Recevez donc une nouvelle vie en Jésus-Christ et par Jésus-Christ. C’est par la communion que Jésus-Christ se met à vos pieds. Oui, Jésus Christ est à nos pieds dans la communion. Hélas, s’il n’y est pas encore plus mal qu’à nos pieds ! Notre Seigneur n’a jamais regardé que la gloire de son Père, le salut et la conversion des pécheurs, et sa plus grande douleur en mourant fut de voir combien il y en aurait qui ne voudraient profiter de sa mort. Ah ! combien n’y en a t’il pas qui ne veulent pas que les souffrances de Jésus leur soient appliquées et qui n’en profitent point ! Priez beaucoup en ces saints jours pour la conversion des pécheurs et pour les âmes du purgatoire. » (880)[23]

En fait ces paroles nous invitent maintenant à nous taire et à rester avec lui. Ajoutons seulement cette conclusion à notre thème:

Dans la vie de toute femme il arrive tout d’abord de considérer sur deux versants 1'image (de Marie), en en faisant une représentation partielle : virgo ou bien mater. Toutefois à la fin il revient à chacune de recomposer l’image éternelle de sa propre vie : la vierge doit recevoir l’empreinte de la maternité spirituelle, tandis que la mère doit retourner à une virginité spirituelle. Le salut de la vie de chaque femme en particulier dépend de la réussite de cette compénétration réciproque, du dépassement de l’élément tragique tant virginal que maternel. Cela ne veut pas dire, cependant, que avec la seule image de Marie soit résolu le salut de chaque femme en particulier, même si ce salut lui-même est lié à la mission de Marie. La synthèse consciente de l’image éternelle est pour chaque femme en particulier possible seulement dans le fait de vivre l’attitude de l’ancilla Domini, dans sa constante disponibilité envers Dieu.[24]

Que Mère Mectilde  - qui, comme elle le disait, avait tout appris de Marie – nous soit en cette tâche mère, sœur et maîtresse !

 

14 juin, année 2001, en la fête de la sainte hollandaise Liduine, qui devint l’épouse profondément heureuse dans une vie de souffrance vécue ensemble ave lui.

 

(Tradution française)



* Du 14 au 17 juillet 2002 a eu lieu auprès de nos soeurs de Cologne une grande rencontre d'étude pour les noviciats de nos monastèpes des fédérations d'Allemagne et des Pays Bas. Nous présentons ici l'introduction à Mère Mectilde de Bar.

[1] Orig. songe mystérieux: indique un rêve dont Dieu se sert pour manifester sa volonté..

[2] Itinéraire spirituel, pp. 18-19.

[3] CATHERINE MECTILDE DE BAR, Entretiens familìers, Monastère des Bénédictines, Bayeux, 1984, pp.113-115.

[4] Vedi la tr. it.: Il volto di una madre in «Ora et labora» XLIII (1988], n. 4, pp. 157-175.

[5] Ecco l'indicazione di tutta la serie, con segnalazione, quando esiste, della tr. ìt., nel volume Non date tregua a Dio.

Lettres inédites

 

Non date tregua a Dio.

p.225

[manca]

p229

[manca]

p.245

[manca]

p.247

[manca]

p.251

p.100

p.257

p.105

p.262

p. 109

p.264

[manca]

p.267

[manca]

p.271

p.113

p.273

[manca]

p-277

p. 116

p.285

[manca]

p289

[manca]

p.306

[manca]

p.319

p. 139

p..350

[manca]

p.363

[manca]

p.367

[manca]

p.368

[manca]

p.370

p.222

 

[6] CATHERINE DE BAR, Lettres inédites, Bénédictines du Saint Sacrement, Rouen, 1976, pp. 225-227.

[7] CATHERINE MECTILDE DE BAR, Adorer et adhérer, Les éditions du Cerf, Paris, 1994, p. 145 tr. it. nostra).

[8] Tr.it. nostra - non conosciamo l'edizione citata dall'autrice - N.d.T.

[9] Tr.it. nostra - v. nota 2. L'originale letto secondo il rns CrC (vedi Leitres indites p. 270) menziona il parroco della chiesa dì Saint -Jean di Toul. La traduzione italiana dì Non date tregua a Dio p, 110 segue invece la ver­sione della stessa lettera secondo un ms (non meglio identificato ) di Bayeux: vedi esemplare di Lettres inédites annotato da M. Cecilia Beltrame Quattrocchi.

[10] CATHERINE DE BAR, Lettres inédites, Bénédictines du Saint Sacrement, Rouen, 1976, pp. 269-270.

[11] M. VÉRONIQUE ANDRAL, Vita comune e crescita spirituale: Atti del Primo Incontro for­mativo per Professe tenuto al Monastero di Caste! Madama 1-6 settembre 1992, «Deus abstondìtus», Anno 84 (1993), n. 1, gennaio-marzo. Monastero di Ronco di Ghiffa, pp. 19-28.

[12] M. Mectilde in V. ANDRAL, Vita comune...(art. cit..), p. 21. [notre traduction car il manque la référence]

[13] N° 1552, Chapitre, CC 225.

[14] N° 1240, Chapitre de Paix, le dernier jour de l’année 1672, CC 32.

[15] V. ANDRAL, Vita comune...(art. cit.), p. 22.

[16] N° 1552, Chapitre, CC 225.

[17] N° 2887, Chapitre d’après Pâques sur l’obéissance et la charité, CC 94.

[18] V. ANDRAL, Vita comune...(art. cit.), p. 24.

[19] M. Mectilde in V. ANDRAL, Vita comune...(art. cit.)t p. 25. [notre traduction car il manque la référence]

[20] Ibid., p. 26. [notre traduction car il manque la référence]

[21] CATHERINE DE BAR, Lettres inédites, Bénédictines du Saint Sacrement, Rouen, 1976, p. 270.

[22] Règlement des offices religieux de l’Institut du Très Saint-Sacrement, Lille,1863,  p. 138.

[23] VÉRONIQUE ANDRAL, (a cura di), CATHERINE MECTILDE DE BAR, Itinéraire spirituel, Monastère des Bénédictines, Rouen, 1990, pp. 187-189.

[24] GERTRUD VON LEFORT, Die ewige Frau. p. 101.notre traduction (v. nota 2).

** Christine Bremer est moniale au monastère  de Valkenburg, Pays Bas.